Deux, quatre, huit, quinze… Par brassées, Lê Bá Dang sort du fond de son atelier parisien ses toutes dernières toiles, grands espaces mouchetés de mille nuances de bleu. Le visage lunaire du peintre de 89 ans est parcheminé de rides souriantes. Le rire, secret de cette increvable vitalité ? Rire et ne jamais douter que «dans n'importe quelle situation, on peut se débrouiller», dit-il pour résumer les péripéties de sa vie. Les plus sombres années de sa jeunesse, à son arrivée en France en 1940, Lê Bá Dang les a longtemps occultées, «tellement c'était horrible». Avec 19 750 autres Vietnamiens, l'artiste a fait partie des linh tho («travailleurs soldats»), ouvriers «indigènes» réquisitionnés par l'Etat français au début de la Seconde Guerre mondiale. A peine une cinquantaine de ces hommes sont encore en vie, dont un livre retrace aujourd'hui l'histoire méconnue (1).
Recrutés pour la plupart de force, ces jeunes Indochinois devaient remplacer dans les usines de la «mère patrie» les Français mobilisés. Ils sont en principe destinés à travailler comme civils dans des entreprises relevant de la Défense nationale, et seulement pour «la durée des hostilités». En fait, bien des linh tho ne pourront rentrer au pays avant le début des années 1950, durablement marqués par le calvaire d'un exil imposé par la puissance coloniale.
Lê Bá Dang fut un des très rares jeunes à se porter volontaire auprès de la main-d'œuvre indigène, nord-africaine et co