Sur l'écran pixelisé, Yu Dongyue est perdu, les yeux dans le vague. Puis soudain, il bredouille quelques mots à toute vitesse : «Lancé des œufs sur le portrait du président Mao, sept ou huit œufs, pleins d'encre…» Les phrases se suivent sans logique : «Pris le train pour Pékin… peut-être un acte artistique…» Il parle sur QQ, un logiciel chinois qui permet de téléphoner sur le Web, depuis un café Internet lointain, dans un lieu tenu secret par sa famille. Sa sœur est auprès de lui : «Il est retombé en enfance.» Yu Dongyue est l'un des trois «gentlemen du Hunan» arrêtés le 23 mai 1989 sur la place Tiananmen, juste après avoir maculé le portrait géant de Mao : la dernière icône du régime. L'action a été improvisée par trois amis venus du Hunan, la province natale du Grand Timonier : un mécanicien, un prof, un journaliste. Sur le moment, les manifestants ne se sont aperçus de rien. Les tâches noires formaient d'infimes grains de beauté sur le visage, la plus grosse faisait une balafre au-dessus du sourcil droit. Le tabou qu'ils venaient de briser était trop fort, même pour les étudiants, qui les ont arrêtés avant de les livrer à la police. Des trois, Yu Dongyue sera le plus lourdement puni : dix-sept ans de prison.
«Vide». A sa libération, en février 2006, il tenait des propos incohérents et s'agenouillait frénétiquement quand il croisait un policier dans la rue. Selon sa famille, les mauvais traitements subis en prison lui ont fait per