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Libération
TRIBUNE

Retour à Tiananmen

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par Yiyun Li, écrivain
publié le 3 juin 2009 à 6h53
(mis à jour le 3 juin 2009 à 6h53)

En mars 2008, je suis revenue à Pékin après dix ans d’absence. Un après-midi, coincée dans un embouteillage, je bavardais avec le chauffeur de taxi, un homme d’âge mûr originaire de Pékin à en juger par son accent.

«Ce n’est plus la ville que vous avez connue»,dit-il, quand il apprit que j’étais en visite. J’avais maintes fois entendu cette phrase depuis mon arrivée. «Cela devient trop moderne pour vous ?» demandai-je sans conviction. Le chauffeur de taxi m’avait dit qu’il avait grandi dans une commune populaire proche du Palais d’été, et que sa femme travaillait dans les services sanitaires du quartier.

«Pékin a perdu son cœur.» Je me penchai en avant, fascinée par cette réponse inattendue. Le chauffeur de taxi me dévisagea dans le rétroviseur. «Quel âge vous aviez en 89 ?» demanda-t-il. L'âge de m'en souvenir, dis-je. J'avais 16 ans au moment du massacre de la place Tiananmen. S'en souvenait-il aussi ?

«Si je m'en souviens ?s'exclama-t-il en haussant le ton et pendant un moment, j'eus peur de l'avoir heurté. Dans notre quartier, tous les hommes sont allés bloquer les tanks et les camions militaires. Est-ce qu'on était un homme si on n'y allait pas ? Ma femme a donné tout un mois de son salaire pour les jeunes étudiants qui faisaient la grève de la faim sur la place… encore qu'elle ne gagnait pas grand-chose, bien sûr.»

Je ne m’attendais pas à parler de la place Tiananmen durant ce trajet. Des amis et des voisins que j’avais