Les mémoires de mon grand-père ont-elles pris l'eau ? Sortis de leur coffret cartonné, les deux volumes de ses Combats inachevés sentent le moisi.
Durant longtemps, la simple vue de cette dédicace, «A ma petite fille Isabelle avec toute mon affection», tracée à l'encre bleue, suffisait à mon bonheur. Sans effusion inutile, la formule signait mon appartenance à une lignée soudée par une pudeur sentimentale identique. J'ouvrais les ouvrages, m'arrêtais sur l'écriture aérienne de celui que j'appelais tendrement «bon-papa». Je feuilletais distraitement, glanais une phrase, regardais les photos noir et blanc.
Mon grand-père lors d’une manifestation à Menton en faveur de l’abolition des frontières, le 29 décembre 1952. Vêtu d’un gros pardessus en laine, col relevé, il semble emporté par son discours prononcé directement sur le pavé, au milieu de la foule. Un journaliste tend son micro. Derrière eux, des visages, des chapeaux, de larges parapluies et deux grandes banderoles barrées des lettres énormes du mot «Europa».
Un autre cliché montre Spaak et Churchill au pied d'une tribune, place de la Bourse à Bruxelles. Assis chacun d'un côté du pupitre tandis qu'un orateur s'exprime, deux masses ventripotentes, deux visages rebondis, silhouettes épaisses, rassurantes. Ils se sont rencontrés à Londres, durant la guerre. Winston Churchill était Premier ministre. Mon grand-père ministre des Affaires étrangères du gouvernement belge en exil. «Dès que la victoire m