Jamais il n'a oublié les ruelles de son enfance, dont celle appelée «Bes Kilisi» («les cinq églises»), où il ne restait que des bâtiments délabrés dont il cassait les dernières vitres avec son ballon. Quand Attila Durak était gosse, cela faisait des lustres qu'il n'y avait plus de chrétiens à Gumushane, à mi-chemin entre Trébizonde et Erzurum, au nord-est de l'Anatolie. Les adultes évitaient de répondre à ses questions sur le sujet. Les Arméniens avaient été déportés ou massacrés entre 1915 et 1917. Les Grecs étaient partis au début des années 20, lors des échanges de populations après que le traité de Lausanne reconnaissait la Turquie de Mustapha Kemal, née sur les décombres de l'empire. Ensuite, il partit pour Istanbul, devint économiste et se passionna pour la photographie. Puis il émigra à New York et devint photographe professionnel. Dans cette mégalopole où cohabitent plus d'une centaine de langues, il eut le déclic. «Je voulais montrer toute la diversité des citoyens de Turquie, les groupes ethniques et les cultures différentes qui s'y mêlent afin de comprendre ce que nous sommes», explique Attila Durak, 41 ans.
Complexité et négociations
Il rentra à Istanbul, acheta un minibus Volkswagen («comme ceux des hippies des années 70») et, avec 3 000 dollars en poche, commença à parcourir l'Anatolie. Un projet un peu fou dans cette République de Turquie inspirée du modèle jacobin, où d'immenses inscriptions à flanc de montagne clament la phrase de Mustapha Ke