Luis Martinez est directeur de recherche au Centre d’études et de recherches internationales (CERI), rattaché à Science-Po Paris. Il est spécialiste du Maghreb contemporain et a travaillé notamment sur la Libye.
Que représente la Grande rivière artificielle pour la Libye ?
C’est un projet fondateur, structurant, au même sens que l’industrie militaire sous Saddam Hussein ou le projet d’industrie industrialisante dans l’Algérie des années 70. Les sommes engagées sont tellement conséquentes que si le régime arrêtait tout, il s’écroulerait. Pour Kadhafi, c’est l’équivalent du barrage d’Assouan de Nasser, en Egypte. Il a promis aux Libyens de boire et manger à leur faim grâce à ce projet. Pour cela, il a fait le choix stratégique des eaux du Sahara plutôt que du dessalement de l’eau de mer, estimant que cette technologie le rendait trop dépendant de l’étranger, d’autant que le coup de production était très élevé à l’époque du choix.
Quels ont été les résultats agricoles ?
A part quelques tomates, 80 % des produits agricoles consommés en Libye restent importés. Dès les années 80, des surfaces agricoles expérimentales ont été mises en culture dans les régions près des puits de forage ainsi que dans le djebel Nafoussa. Un peu sur le modèle des fermes saoudiennes, et aussi à la manière, moins avouée, des Israéliens. Mais très rapidement, cela a posé un problème de coûts de production. La Libye n’a pas les moyens illimités de l’Arabie Saoudite ; elle n’a pas non plus le savoir-faire israélien. D’autant qu’en Israël, le pays est beaucoup plus petit, tout comme les surfaces, ce qui a perm