Ce n'est pas toujours simple d'être un écrivain de ce qu'il appelle lui-même «les marges de l'Europe». Prix Nobel de littérature et premier Turc salué d'une telle distinction, Orhan Pamuk est adulé par de nombreux lecteurs dans son pays et plus encore à l'étranger où ses romans, Mon nom est rouge, ou Neige ont remporté de nombreux prix. Mais cet Istambouliote de naissance, de cœur et de raison, vit entre deux mondes, sans cesse renvoyé à son identité écartelée.
«Quand Proust écrit sur l'amour, il parle de l'amour universel aux yeux de ses lecteurs. Quand j'écrivais sur l'amour, surtout à mes débuts, on disait que j'écrivais sur l'amour turc», raconte-t-il dans D'autres couleurs, recueil d'essais et de courts textes, notamment sur le difficile rapport à l'Occident, celui de son pays et aussi le sien. «Tenter de faire sien l'esprit de l'Europe et se sentir ensuite coupable de ce mimétisme», explique ce romancier fasciné de longue date par le philosophe allemand Walter Benjamin et ses œuvres inachevées, «fragmentaires et donc sans limites comme la vie elle-même». Le recueil est autant un «making-of» de l'œuvre qu'une autobiographie en creux.
Egotisme. Il y parle bien sûr de ses souvenirs, son enfance dans une famille de la bonne bourgeoisie cosmopolite d'Istanbul, sa passion de gosse pour les «vapur» - les ferries sillonnant le Bosphore -, les vacances dans les îles aux Princes, sa vocation de peintre