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Le khmer, une langue au fer rouge

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Génocide cambodgien par les Khmers rougesdossier
Dès sa prise du pouvoir à Phnom Penh en 1975, le régime de Pol Pot impose une révolution linguistique. La blessure demeure.
par Adrien LE GAL, correspondance à Phnom Penh (Cambodge)
publié le 20 octobre 2009 à 0h00

«Le tribunal pourrait embaucher des interprètes compétents !» C’était en mai, à Phnom Penh, où comparaissait Douch, l’ex-chef du camp de torture S-21 des Khmers rouges. Me François Roux, l’avocat français de l’homme qui a reconnu sa responsabilité dans la mort de 12 000 détenus, accuse les traducteurs d’avoir mis des termes racistes dans la bouche de son client… Ce n’est pas le premier accrochage sur les mots. Les polémiques autour de la traduction sont un classique des tribunaux internationaux. Mais celui-ci, mis en place en 2007 avec le soutien de l’ONU pour juger les responsables khmers rouges, affronte une difficulté supplémentaire, héritée directement du régime de Pol Pot : les traducteurs doivent naviguer dans une langue bouleversée par les Khmers rouges dès leur prise du pouvoir.

Lorsqu'ils entrent dans Phnom Penh, le 17 avril 1975, le pays est exsangue, meurtri par cinq années de guerre. Les premières décisions prises par les compagnons de Pol Pot précipitent le chaos : exécutions des intellectuels, évacuation des villes, suppression de la monnaie, obligation faite aux moines bouddhistes de quitter le froc pour travailler… C'est dans ce contexte que, contre toute attente, ils lancent une réforme linguistique radicale. Il s'agit de casser les structures de la langue, reflet de l'«ancienne société». «Les Khmers rouges considéraient qu'il fallait une langue démocratique pour une société démocratique», relève Alain Daniel, docteur en langue