Il caresse affectueusement le bois du long meuble qui trône dans l'arrière-boutique de son éditeur parisien.«C'est une table de tailleur, comme celle de mon enfance», se souvient Mauricio Rosencof en montrant une photo noir et blanc de son père, prise à Lublin (Pologne orientale) d'où est originaire sa famille de juifs polonais. L'homme est assis dans son atelier en train de coudre, adossé à la console qui lui sert pour débiter ses coupons de tissus. «Mon père avait les yeux clairs, transparents, malins, remplis de bonté, espiègles, toujours rieurs», écrit-t-il dans les Lettres qui ne sont jamais arrivées. Un peu comme les siens, sans cesse en mouvement mais capables de visser à l'improviste un regard acéré ou goguenard sur son interlocuteur.
Aujourd'hui directeur de la culture à la mairie de Montevideo, la capitale de l'Uruguay, Rosencof, 76 ans, milite activement pour le Frente amplio («Front large»), une alliance de partis de gauche au pouvoir depuis octobre 2004. Ces derniers mois, il a mis toute sa fougue au service de son frère d'armes, José «Pepe» Mujica, le nouveau candidat du Front à l'élection présidentielle, dont le premier tour a lieu dimanche.
L'écrivain est vêtu d'un jean et d'un pull camionneur. Les rares cheveux blancs rejetés en arrière débordent sur les oreilles, et les rides qui creusent harmonieusement ses traits soulignent le charme d'un visage encore empreint de fraîcheur. Sourire aux lèvres et sourcils en bata