Carmenza Gomez a le regard lointain, le visage fermé de ceux qui ont beaucoup perdu. Dans le parc d'un quartier de Soacha, l'immense banlieue déshéritée de Bogotá, elle raconte comment son fils a disparu, un soir d'août 2008. Deux hommes bien vêtus et une femme «très belle», rencontrés devant un café du dédale de ruelles poussiéreuses, venaient de lui proposer un boulot bien payé sur la côte caribéenne. «Dis au revoir à maman de ma part, je pars travailler»,lance-t-il à son frère. Le surlendemain à l'aube, à vingt heures de route de là, l'armée présentait son corps et celui de deux de ses voisins comme ceux de guérilleros tués au combat. «Il avait reçu sept balles, puis le coup de grâce», constatera la mère lors de l'exhumation. Le cas des trois amis n'était que le premier d'une longue série de scandales : aujourd'hui, la justice colombienne enquête sur 2 000 de ces civils pauvres, recrutés avant d'être abattus par des militaires soucieux de «faire du chiffre». Leur dossier pourrait être l'un des premiers ouverts par la Cour pénale internationale (CPI) dans le pays andin.
Dimanche, le tribunal de La Haye (Pays-Bas) a en effet levé l’exception de sept ans invoquée par Bogotá pour les crimes de guerre, lors de son adhésion au traité de Rome en 2002. Toute nouvelle exaction de ce type sera désormais du ressort des procureurs de La Haye, déjà compétents depuis 2002 pour les génocides et les crimes contre l’humanité - une soixantaine de dossiers