Lorsque Nicolas Sarkozy refuse l’adhésion de la Turquie au nom des «frontières naturelles» de l’Europe, chacun comprend qu’il parle de ses «frontières culturelles». Et la culture de la Turquie est l’islam : il serait incompatible avec l’Europe, et même avec la République.
La Turquie vit pourtant en République depuis 1924. L’islam s’y est démocratisé. Il s’est approprié l’idée de nation, les institutions républicaines, le code civil (institué en 1926 et calqué sur la législation suisse), l’économie de marché, l’enseignement, les médias de masse et la connaissance scientifique. Il a adopté le parti comme mode de participation politique et, puisqu’il est aussi différencié théologiquement ou idéologiquement que dans le reste du monde musulman, il a donné naissance à une pluralité de formations, plus ou moins rivales. Par ailleurs, les croyants ont eux-mêmes réparti leurs suffrages dans l’ensemble de l’échiquier politique, tandis que des non-croyants ont confié leur vote à des partis musulmans.
Mieux, l'islam a apporté une contribution décisive à la démocratisation de la république kémaliste. Grâce au parlementarisme, les partis musulmans successifs, ou les partis conservateurs de sensibilité religieuse, proches des confréries, ont intégré aux institutions républicaines les masses croyantes qui ne se reconnaissaient pas dans la laïcité agressive du kémalisme et ont occupé l'espace qui aurait pu revenir à des groupes jihadistes. Ils ont encadré le transfert de la paysannerie vers le