La neige tombe sur Slavuta, un village du nord-ouest de l’Ukraine. Devant la modeste synagogue, cachée au fond d’une impasse, une dizaine de vieux Juifs célèbrent Hanouka, la «fête des lumières», dans le froid et l’obscurité. La petite communauté est rassemblée autour des bougies rituellement allumées et murmure maladroitement une rapide prière, malgré les encouragements de deux Américains rompus à l’exercice des traditions, venus tout droit des Etats-Unis pour l’occasion. Le yiddish est hésitant, la mémoire encombrée, trop lointaine… Contrastant avec l’exubérance des deux jeunes missionnaires américains, le malaise des Juifs d’Ukraine est tangible. Jusqu’en 1941, la population de Slavuta était composée à 80 % de Juifs. Puis les nazis ont déferlé en attaquant l’Union soviétique, 2,5 millions de Juifs vivaient alors en Ukraine avant la guerre. Entre 1941 et 1944, tout un peuple fut quasiment anéanti. Suivirent quatre décennies d’athéisme communiste qui recouvrirent d’une chape de plomb prières et traditions, et jusqu’à la mémoire des massacres.
A Slavuta, David Gochkis, Juif ukrainien, journaliste et écrivain de 97 ans, est l'un des derniers témoins vivants de cette époque. Au début de la guerre, son engagement dans les rangs de l'Armée rouge l'a tenu éloigné de son village et d'une mort certaine. «Quand je suis rentré chez moi, en 1947, il y avait des étrangers dans ma maison. Vingt-trois personnes de ma famille sont mortes, parce qu'elles étaient juives.» I