Ce jour-là, elle a embrassé ses parents, salué le bawab, le portier planté au bas de son immeuble, et s'est plongée dans la foule matinale des rues du Caire. Pour la première fois, elle a poussé la porte d'un salon de coiffure, s'est assise devant le miroir et dit : «Faites-moi quelque chose de bien. Aujourd'hui, j'enlève mon voile.» Le hijab (1), la journaliste Rania l'a porté près de vingt ans. «Une vie», rit-elle, tapotant une fine cigarette contre le cendrier.
Dans ce café du centre-ville, garçons et filles discutent autour d’un cappuccino. L’université américaine du Caire est toute proche, on parle en arabe et en anglais. La quasi-totalité des jeunes femmes sont voilées, certaines la tête couverte d’un foulard savamment noué, assorti au top à bretelles enfilé sur un fin col roulé. Rania fait bouffer son nouveau carré auburn, d’un geste encore trop neuf pour être machinal.
«Pourtant, je suis la même»
Salwa (2), étudiante, a laissé un mot sur la table de la cuisine. Quelques lignes prévenant sa mère qu'elle reviendrait du travail sans son grand voile noir. Son père vit à l'étranger, loin de sa femme et de ses deux filles, seules dans un grand appartement du quartier petit bourgeois de Mohandessine. «Je viens d'une famille très conservatrice ; ça a été dur.» Elle a sauté le pas il y a un mois et se sent «un peu perdue». Elle craignait des discussions vives mais n'a récolté que des silences, des regards désolés, et des moues désapprobatrices. Avec ses tantes,