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Libération

La souffrance abasourdie des laissés pour compte»

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L’écrivaine Tawni O’Dell a découvert la ville en 1981 et en a fait le cadre d’un roman en 2004. Pour «Libération», elle fait son retour à Centralia :
par Tawni O'DELL
publié le 20 mars 2010 à 0h00

J’ai fait un tour à pied aux abords de la maison de ma grand-mère, ce matin. La vue était une mer houleuse de collines gelées et spectrales, encore couvertes de-ci de-là de bandes de brouillard accrochées à un ciel couleur de vieux ossements. La petite ville où elle est née s’apercevait dans la vallée, au bout d’une route au macadam usé qui se love le long des contreforts tel un serpent gris paresseux.

C’était jadis une contrée prospère et bien entretenue, au temps où les mines restaient ouvertes. Maintenant, les maisons s’affaissent, les façades pèlent, les pelouses auraient besoin d’être tondues et les enfants risquent la teigne. Des fenêtres cassées sont obstruées par des chiffons, des allées barrées par des carcasses de voiture posées sur des parpaings. Les jardins débordent de tous les détritus possibles et imaginables, depuis des machines à laver défuntes et des bicyclettes au cadre tordu jusqu’à des matelas éventrés et des sacs à ordures bourrés de bouteilles de bière. Derrière tout cela, les collines attendent dans leur infinie patience, l’énorme plaie ouverte des mines à ciel ouvert toujours béante sur leurs flancs. Des engins de terrassement colossaux sont toujours garés sur une aire mais ils sont silencieux depuis des années, rappelant que même les plus grosses machines peuvent être vaincues.

L’histoire de notre région résumée en un coup d’œil : l’homme détruit la nature, la nature détruit l’homme. En grandissant par ici, je n’ai jamais remis en cause la pauvreté et