Le maire a la saudade de son village englouti. La saudade, mot portugais intraduisible, synonyme d'une nostalgie entêtante qui serre le cœur et laisse à jamais inconsolable. Francisco Oliveira souffre de mélancolie : «C'est quelque chose qui est agrippé à moi. Il n'y a rien à y faire, il faut juste vivre avec», lâche ce quadragénaire pourtant dur à cuire, massif, comme taillé dans le schiste de son Alentejo rural.
Il y a huit ans, la saudade s’est abattue avec le déluge qui a enseveli le village de son enfance et de ses ancêtres. Il était le maire de Luz Velha (prononcer «louche»), «lumière» en portugais. Il exerce aujourd’hui la même fonction à la tête de Luz Nova, le nouveau Luz construit à l’identique grâce aux millions d’euros déversés par l’Etat portugais et l’Union européenne, ainsi qu’à l’expertise de prestigieux archéologues, urbanistes et anthropologues.
Sauve-qui-peut chaotique
Février 2002. Pour les 300 habitants de ce village anonyme et oublié, ce qui résonnait comme l'Arlésienne (le projet date des années 50) devient une réalité annoncée comme salvatrice : à deux pas de l'Espagne, on retient les eaux du Guadiana pour y bâtir le plus grand barrage d'Europe, irriguer 110 000 hectares de terres arides, produire de l'énergie hydroélectrique à profusion, et dynamiser une région sinistrée. Des immensités d'oliviers ou de pâturages seront noyées par les eaux. Luz, 180 maisons blanchies à la chaux et autant de potagers, doit connaître le même sort. La population, pour l