Des œillets rouges et des bougies à la main, quelques centaines de personnes se sont réunies samedi soir sur la grande place Taksim, à Istanbul, afin de commémorer, pour la première fois publiquement, «la Grande Catastrophe» de 1915, c’est-à-dire les déportations et le massacre de plus d’un million d’Arméniens ottomans par le gouvernement des Jeunes Turcs allié de l’Allemagne.
Plusieurs pays, dont la France, ont reconnu officiellement la réalité de ce premier génocide du XXe siècle. La Turquie s'y refuse encore mais le tabou se fissure. «Votre peine est la nôtre, ainsi que votre deuil» était le seul slogan - en turc, arménien et anglais - de cette manifestation silencieuse ; même si le mot de génocide n'était pas explicitement mentionné dans l'appel. «Le mot bloque le débat et le terme de génocide sera l'aboutissement du travail de mémoire. Le plus important est que le maximum de Turcs aient conscience de l'ampleur comme de la nature du crime, c'est-à-dire un crime de l'Etat contre ses propres citoyens», explique l'universitaire Ahmet Insel, l'un des organisateurs de la manifestation de samedi et dont le livre, Dialogue sur le tabou arménien (Liana Levi), coécrit avec Michel Marian, vient d'être publié en Turquie. Dans sa déclaration, le collectif qui a appelé à la manifestation insistait sur «le partage des souffrances causées par la mort et la perte de nos camarades de classe, de nos professeurs, de nos épiciers, tailleurs, copains