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Interview

«Ce pays reste le laboratoire d’une modernité africaine»

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Interview . Achille Mbembe, politologue camerounais, décortique les rapports entre l’Afrique du Sud et ses voisins.
publié le 4 juin 2010 à 0h00

Achille Mbembe, 53 ans, politologue camerounais, théoricien de la postcolonie, est installé depuis une dizaine d’années en Afrique du Sud, où il est chercheur au Wits Institute for Social & Economic Research (Wiser) de l’université de Witwatersrand, à Johannesburg.

L’Afrique du Sud a-t-elle perdu de son leadership régional depuis le départ de Thabo Mbeki ?

L’Afrique du Sud, mais aussi l’Afrique en général, ont perdu en termes de capacité à produire des idées. Thabo Mbeki avait ses contradictions, liées à sa politique et à son histoire personnelle. Il avait malgré tout une certaine vision du continent dans le monde, et du rôle de l’Afrique du Sud en tant que puissance régionale. Il était capable de traduire ses idées en institutions et en politiques. Les résultats, c’était une autre affaire. Mais cette capacité n’est plus là. Aujourd’hui, on gère la routine. Le problème du régime de Jacob Zuma, c’est qu’il est faible, intellectuellement. Le manque d’idée, d’ailleurs, est une tare sud-africaine. L’apartheid a été marqué par une grande médiocrité. Le racisme est incapable de produire de la culture, il conduit à l’abêtissement de ceux qui en sont les victimes.

Ailleurs en Afrique, envisage-t-on l’Afrique du Sud comme un modèle ?

Ce pays reste, malgré tout, le laboratoire privilégié d'une certaine modernité africaine, que j'appelle «afropolitaine». C'est le seul pays africain qui ait connu une mesure de révolution industrielle, avec toute la violence que cela implique : l'expropriation de couches entières de la population, l'émergence d'un prolétariat au sens direct du terme, des classes sociales distinctes, avec des intérêts pour lesquels o