La morale élastique faisant bon ménage avec l'inculture chronique, l'embarquement de l'écrivain suédois Henning Mankell, 62 ans, à bord du Sophia, l'un des six bateaux de la flottille arraisonnée par l'armée israélienne, ne surprendra que ceux qui n'ont pas saisi ce qui l'inspire : l'accord entre les idées, les livres et les actes, dans sa lutte contre ce qui lui paraît d'une insupportable injustice. Mankell est un humaniste débordant, cohérent et conséquent.
Sa cohérence s'exprime dans sa dénonciation du saccage libéral de la social-démocratie et du désastre mental qu'il engendre («Quel monde laissons-nous à nos enfants?» est l'une de ses questions récurrentes), mais aussi de toute espèce d'entreprise coloniale. Il suffit de lire des polars comme la Cinquième femme, qui débute par un massacre en Algérie, ou le Cerveau de Kennedy, qui conte l'utilisation criminelle de malades du sida au Mozambique, pour apprécier, outre son savoir-faire, son dégoût de la violence terroriste et de l'amoralité affairiste. Mankell, un grand type hypocondriaque et obsédé par la fuite du temps, est un homme révolté. Il utilise ce sentiment pour bâtir des romans qui ont marqué les quinze dernières années : son antihéros dépressif et diabétique, le commissaire suédois Kurt Wallander, est devenu un personnage-type en qui s'expriment la mélancolie et l'inquiétude d'une société dont les valeurs (solidarité, justice) foutent le camp. L'auteur du Guerrier solitaire