Il est presque 11 heures du soir à Karachi. De ma chambre du 70 Clifton, j’entends le bourdonnement incessant de la circulation. Un bruit familier devenu le fond sonore de mon écriture et de ma réflexion. Auquel vient s’ajouter celui des sirènes. Des ambulances, ou bien des hommes politiques qui circulent en ville, claironnant sur leur passage. Une garde d’élite armée jusqu’aux dents les accompagne, des Rangers surtout, portant des Kalachnikov. Des tirs retentissent parfois. Une série de coups de feu par saccades la plupart du temps, qui éclatent dans le lointain. Ce n’est pas la saison des mariages à Karachi, quand les mâles du pays sortent dans la rue et tirent des balles en l’air. Ce n’est pas le réveillon de nouvel an, traditionnellement turbulent et souvent pimenté de rafales marquant la nouvelle année. C’est le Karachi d’aujourd’hui. Mais c’est du déjà vu.
Il y a quatorze ans, j'ai manqué l'école pendant des semaines à cause de la violence qui s'était emparée de notre ville. Je me rappelle que j'allais me coucher au son des balles qui sifflaient non loin de chez moi. Dans les journaux le lendemain matin je découvrais le bilan des tués de la veille. C'était une ville dangereuse. Le gouvernement PPP (1) du Sindh (2) avait lancé l'Opération nettoyage, entreprise génocidaire contre l'ethnie des Mujahirs qui formait le gros du parti MQM (3). Le MQM avait riposté, avec ses propres escadrons de la mort, et le bruit agressif de sa revanche était devenu lui aussi famili