Achille Mbembe, politologue et philosophe camerounais, théoricien de la postcolonie, est installé à Johannesburg depuis une dizaine d'années. Il a publié, entre autres, De la postcolonie, essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine (Karthala, 2000), et s'apprête à sortir, à la rentrée, un nouvel essai sur l'ère postcoloniale, intitulé Critique de la raison nègre.
Cinquante ans après les indépendances, que fête-t-on exactement ?
Au regard de ce que fut le projet de décolonisation, il y a très peu à fêter. Le mouvement de pensée qui aboutit à la fin du colonialisme avait deux objectifs : ce que j’appelle la volonté de vie, comme d’autres parlent de la volonté de puissance, et quelque chose comme un projet d’éclosion au monde. On est encore loin du compte. Fêter cinquante ans d’indépendance paraît même embarrassant en soi, compte tenu du spectacle actuel : une majorité d’Africains veut vivre partout, sauf en Afrique. Difficile de faire plus grave constat d’échec !
Tout de même, n’y a-t-il pas quelques acquis ?
La scolarisation représente un gros bénéfice, remis en question dans les années 80 par la crise économique. Avec la déscolarisation et la paupérisation, le nombre de gens oisifs a augmenté. Le marché militaire au sens large, avec ses armées, ses milices et ses enfants soldats, est le seul à avoir besoin de toute cette viande humaine. La hausse du nombre de gens qui n’ont rien à perdre représente un potentiel de violence anarchique, une violence très différente de l’histoire de la lutte contre le colonialisme. La violence actuelle, sans projet polit