Pour comparer deux pays, deux modèles politiques et économiques, on utilise en général des outils statistiques. On peut ainsi se faire rapidement une idée du «modèle allemand» en consultant le PIB, la balance commerciale, le déficit public ou encore la courbe démographique de notre voisin. Ce faisant, on adopte le point de vue distancié de l'expert - économiste ou sociologue. Une autre approche est possible : choisir une perspective interne et partir de la langue, des mots que les hommes et les femmes utilisent au quotidien pour organiser leur existence. Dans cette perspective, on se situe d'emblée dans le vif des interactions sociales, dans cette épaisseur faite de représentations symboliques et de savoir implicite que les philosophes appellent le «monde vécu» (Lebenswelt).
En matière d'économie, les lexiques français et allemands présentent par exemple quelques différences significatives : le terme «pouvoir d'achat», au cœur de toutes les revendications et de toutes les promesses en France, n'est quasiment pas utilisé en Allemagne. Le mot existe (Kaufkraft), mais son emploi reste marginal. Du point de vue de l'expert, on dira que c'est là l'indice d'une économie qui mise avant tout sur ses exportations, et non, comme en France, sur la consommation. Du point de vue du quidam, pris dans la vie quotidienne, on pourra y voir la marque d'un détachement vis-à-vis de la frénésie consumériste - découlant d'un sens protestant de la modération ? D'un goût de l'utile