Menu
Libération
TRIBUNE

Russie, l’insoutenable légèreté de la mouette

Article réservé aux abonnés
par Andreï Guelassimov, Ecrivain
publié le 20 août 2010 à 0h00

En ce moment, alors que la fumée des incendies de forêts qui font rage autour de Moscou stagne dans nos appartements, et que nous regardons avec nervosité, à travers une brume blanchâtre, les bulletins météo, le souvenir le plus vif qui me revient de mon voyage à Saint-Malo, au mois de mai, ce sont les odeurs.

Le matin, en ouvrant la fenêtre de votre chambre d’hôtel, vous sentiez non pas l’odeur âcre de la tourbe en train de brûler, ni la chaleur à cause de laquelle, avec ou sans tourbe, vous ne pouvez pas respirer, et qui vous ronge le cerveau, le cœur et l’envie de vivre. Non, au lieu de tout cela, c’est l’odeur de la mer, discrète, un peu timide, qui venait à votre rencontre.

Ce souvenir, aujourd’hui, est comme la tristesse de la virginité perdue : il semble qu’on n’ait rien à regretter, mais il est désormais impossible de revenir en arrière. Si l’on s’y attarde trop, on peut devenir fou. C’est pourquoi, comme mesure prophylactique, nous choisissons d’ouvrir en grand la fenêtre et de respirer la fumée de notre patrie. Ce n’est plus aussi agréable que ça devait l’être pour Derjavine, Griboïedov (1) et les autres Russes qui ignoraient tout du réchauffement climatique de la planète, mais on ne peut imaginer de meilleur contrepoint aux odeurs de Saint-Malo. Nous remplissons nos poumons d’un mélange qui nous permet de continuer à vivre et nous empoisonne en même temps et, désormais tranquilles pour notre santé mentale, nous pouvons nous livrer à nos souvenirs.

Le matin, dans la c