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Interview

«Haïti, c’est le vide du pouvoir, la gouvernance par le chaos»

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La sociologue Michèle Oriol dénonce l’inexistence de l’Etat dans son pays :
publié le 27 novembre 2010 à 0h00

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ichèle Oriol est docteur en sociologie de l’université Paris VII-Jussieu, où elle a soutenu en 1992 sa thèse sur les systèmes de production et les structures foncières du sud d’Haïti. Elle enseigne à l’université d’Etat d’Haïti.

Peut-on parler d’échec de la communauté internationale alors que le séisme a fait 250 000 morts, 500 000 déplacés et 1,5 million de sans-abri dans le pays le plus pauvre du continent américain?

C’est un échec partagé parce que la responsabilité est partagée. Le tremblement de terre n’a fait qu’exacerber un problème latent depuis 1994, avec l’arrivée d’une mission de la paix : le vide du pouvoir politique en Haïti. On a donc une tutelle de fait qui ne s’exerce pas et un gouvernement qui ne gouverne pas. Impossible d’imposer une marque, de trancher, et de faire des choix. C’est la gouvernance par le chaos. Un gouvernement sous totale perfusion qui détruit le peu d’autorité de l’Etat qu’il lui reste.

La mise sous tutelle d’Haïti n’aurait-elle pas provoqué une fièvre nationaliste dans les élites politiques comme au sein de la population?

Je n’ai jamais plaidé pour une sorte de protectorat déguisé par la communauté internationale. J’ai toujours dit qu’il fallait faire un choix clair. Soit la communauté internationale s’impliquait totalement et prenait ses responsabilités, à l’image de l’intervention américaine en 1915. Soit elle refuse cette logique, et alors elle laisse aux Haïtiens la gestion totale de leur pays et elle favorise l’émergence d’un réel Etat. Quitte à ce qu’il y ait des mois de troubles, mais permettant au moins à un leader de s’imposer.

Vous dites que de nombreux intellectuels ont tendu un piège aux Haïtiens en parlant de malédiction, et que les responsables ont surfé sur la victimisation au lieu de mobiliser la population.

Nous devons sortir de ce sentiment pour retrouver l’estime de nous-mêmes. Et nous prendre en charge. Notre souveraineté nationale s’est érodée. Oui, cela a conduit à l’exacerbation de la demande identitaire, de la religion, du vaudou.