Couvre-feu décrété. Pour qui? Pour la police et l'armée peut-être qui ont déserté la rue la nuit du jeudi 14 janvier! Car les manifestants sont toujours là, ils veillent sur la ville.
Dans l'euphorie de l'intifada, de ces journées lumineuses et précieuses, les Tunisois n'ont de respect pour rien: ni couvre-feu, ni dieu. Ils proposent une Tunis ouverte, sans limites. Un club sans cafards. Un endroit où tout est possible. Un parc d'attraction pour adultes et enfants. Hay Ettadhamen, quartier des khobsistes (les fanatiques du pain), le plus grand parti du pays: une bastille sans centre, sans trottoirs, sans cafés, sans ruelles, sans impasses, sans carrefours, sans stations de taxis. Avec foule et bruit. On se croirait au sud de Brazil. Même le ciel paraît artificiel, en cette première nuit de couvre-feu non respecté. Un ciel de faïence. Les enfants de la balle occupent tout l'espace et les adultes réapprennent à aller chez les adultes d'à côté. Un Tunis dessiné à partir de gribouillage. On dirait un pigeon, un épervier ou un faucon. On a le sentiment de l'avoir habité avant même de naître. C'est le carnaval. La fiesta. Ezzarda. La révolution.
Imagine... Tunis résonnant de mille débats en plein air, comme à Hyde Park Corner, ce coin de pelouse londonienne où chaque passant se change, si l'envie lui en prend, en tribun. Dans ces quartiers populos, ces corners, on peut chicaner, s'épancher. Une femme peut cracher sur
le poster géant de Ben Ali.
Le pays a le charme d'un grand café
Ben Ali, sans le vouloir peut-être,