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Libération
TRIBUNE

Fantasme migratoire

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par Bruno Tertrais, Maître de recherches, Fondation pour la recherche stratégique
publié le 11 mars 2011 à 0h00

Quel que soit l'état psychologique actuel du colonel Kadhafi, il faut bien reconnaître que ce dernier n'a rien perdu de sa capacité à manipuler les dirigeants occidentaux. Ayant peut-être réalisé que l'argument selon lequel il est un rempart contre Al-Qaeda n'est plus guère audible auprès des opinions européennes, voici maintenant qu'il tente de justifier son maintien au pouvoir par un chantage aux migrations massives (voir l'interview du Journal du Dimanche du 6 mars et l'entretien accordé par son fils Saïf à France 2 le même jour).

Ce faisant, il semblerait, si l'on en croit les forums d'extrême droite, donner raison à l'écrivain Jean Raspail, dont le célèbre roman le Camp des saints (1973), fréquemment qualifié de «prophétique», vient d'être réédité et connaît un succès de librairie aussi discret qu'inquiétant. Le livre de Raspail décrivait le débarquement sur la Côte d'Azur d'un million de réfugiés en provenance d'Asie du Sud.

Toute l'histoire des migrations modernes démontre l'inanité du scénario du Camp des saints. Les grandes migrations soudaines sont très rares ; et, lorsqu'elles se produisent - à la suite d'un conflit ou d'un désastre naturel - ce sont des migrations «de voisinage». Les principaux flux de population en provenance d'Afrique vont… vers l'Afrique. Même l'exemple des bateaux albanais débarquant sur les côtes italiennes dans les années 90 n'est pas pertinent : il est autrement plus difficile de traverser la Méditerranée