On ne voit que lui. Uniforme beige et petit cartable, cravate et chaussures noires, l’officier domine de sa seule présence ce quai sur lequel toutes les Egypte se mêlent. A la gare du Caire, des femmes gantées et intégralement voilées côtoient des jeunes gens, filles et garçons, bardés de portables et moulés dans leurs jeans. Les trains sont sur le point d’expirer, les bureaucrates hautains, la poussière lourde, la misère omniprésente. Ce n’est pas un pays. C’est un patchwork de siècles mais, à lui seul, voyageur parmi d’autres mais jamais bousculé, l’officier semble tenir tout cela debout, souriant dans le chaos.
Lorsqu’on demande aux Egyptiens pourquoi ils aiment tant leur armée, tous ont leur raison. Les plus vieux lui sont encore reconnaissants d’avoir renversé la monarchie en 1952. Les plus jeunes disent que, sans elle, ils ne seraient pas parvenus à chasser Moubarak. Les mieux informés affirment qu’elle a évité à l’Egypte le drame de la Libye en refusant de tirer dans la foule et tous les démocrates la prient, la supplient, de ne pas trop vite passer les commandes à un gouvernement civil. Jeunes ou vieux, les démocrates égyptiens voudraient que les généraux ne se hâtent pas de faire élire un nouveau Parlement car, si des législatives avaient lieu sous quatre mois, comme prévu, elles seraient forcément remportées, disent-ils, par les Frères musulmans et l’ancien régime, les deux seules forces organisées du pays.
Le cauchemar qui hante les démocrates, c’est une alliance en