On ne connaît qu'un chiffre, cinquante - encore n'est-il pas vraiment sûr. Cinquante comme Stentor, dont la voix égalait celle de cinquante hommes. Cinquante, un nombre d'harmonie dans toutes les symboliques - jusque dans le Yi King, le Livre des mutations. Hexagramme cinquante - celui du chaudron. «Le bois est le destin du feu ; tant qu'il y a du bois au-dessous, le feu brûle au-dessus. Il en va de même de la vie humaine. Il est également dans l'homme un destin qui prête sa force à la vie. Et quand on parvient à donner à la vie et au destin leurs places légitimes, on affermit la destinée en mettant ainsi la vie en accord avec elle.»
Mais la destinée sera-t-elle affermie ? La voix de Stentor s’est tue. Ils sont cinquante enfermés dans la centrale de Fukushima. Cinquante face à des chiffres mouvants et démesurés. 3 711 décès, 8 181 disparus, 1 990 blessés. 80 000 soldats, policiers et personnels de secours. 500 000 sinistrés. 80 422 bâtiments endommagés dont 4 798 détruits. Sans compter les chiffres présumés. Plus de 10 000 morts escomptés - escomptés, quel mot étrange. Et les millisieverts qui mesurent la radioactivité, un chiffre fluctuant, qui monte et qui descend, puis qui remonte.
Ce sont les chiffres du dehors, ceux des 750 travailleurs de la centrale évacués sur 800, ceux de notre monde. Mais eux, les cinquante, ils sont au-dedans. Ce sont des ingénieurs installés dans les salles de commande, qui suivent l’évolution de la situation de minute en