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Libération

La tectonique des sentiments

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Michaël Ferrier enseigne à l’université Chuo de Tokyo, où il vit depuis une vingtaine d’années.
par Michaël Ferrier, «Sympathie pour le fantôme» (Gallimard, 2010)
publié le 17 mars 2011 à 0h00

En 1923 déjà, Paul Claudel, ambassadeur de France au Japon, s'indignait qu'on eût pu «placer la capitale d'un pays sur ce couvercle de chaudière». Traversant à pied la plaine du Kantô touchée par le grand tremblement de terre qui avait dévasté la zone urbaine de Tokyo à Yokohama (140 000 morts), il écrivait dans son style biblique et merveilleusement précis : «Une grande haleine de feu a soufflé. L'eau des étangs elle-même s'est mise à bouillir.Dès notre arrivée à Tokyo, accueillis par ces frissons de la terre, ces grondements sous nos pieds, ces conflagrations incessantes, nous avions compris de quel Cyclope à demi endormi sous les feuillages et les fleurs nous étions les hôtes.» Qu'aurait-il dit aujourd'hui, alors que l'île principale de l'archipel semble avoir glissé sur plus de deux mètres et l'axe de la rotation de la Terre s'être déplacé de 10 centimètres ?

Il est évidemment trop tôt pour prétendre tirer les leçons du «grand séisme du Tôhoku», mais il est permis et même judicieux de commencer à y réfléchir. Le tremblement de terre survenu le 11 mars 2011 n’a en effet pas seulement révélé - ou rappelé - les énormes risques géologiques tapis au revers de la plus grande ville du monde, il a aussi rendu extrêmement visible toute une série de modes de fonctionnement, et de dysfonctionnements, de nos sociétés dites modernes et industrialisées.

Le règne omniprésent des images tout d'abord, images rendues encore plus terrifiantes par le fait qu'elles a