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Libération

Le Japon dans ma chambre

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par Dany LAFERRIERE, Romancier
publié le 17 mars 2011 à 0h00

Que faisais-tu

quand la terre a tremblé

au Japon?

J’étais dans ma chambre

à ne rien faire.

Tout semblait enfin si calme autour de moi.

Soudain les éléments déchaînés

à l’autre bout du monde :

l’eau, le feu, la terre et l’air radioactif.

Ne manque que le vent pour emporter

ces îles ailleurs.

Les petits avions flottant.

Les camions poids lourds qui tanguent.

On dirait des mégots

dans un cendrier rempli d’eau sale.

Un paysage noyé effraie

mais n’émeut pas.

Seule la mort d’un être humain

parvient vraiment à toucher le cœur d’un autre.

Cette jeune fille drapée de jaune

que des photographes insouciants ont changée

en mater dolorosa

est devenue l’arbre qui cache le paysage dévasté

et les corps gonflés d’eau.

J’entends murmurer mon vieux maître Bashô :

«Regarde, regarde,

les vraies fleurs

de ce monde de souffrance.»

Qui, parmi nous, peut

ressentir une si insoutenable douceur ?

Est-on obligé de pleurer

quand celui qui vit le drame

fait ce qu’il peut

pour ne pas perdre la face ?

Le Japon garde tout

au plus profond de lui-même.

Gare à l’implosion.

Ces images sautillantes captées

par les caméras de sécurité installées

dans les immeubles de la ville

sont gorgées d’émotion.

Tétanisé par ces images qui montrent

les gens se dépêchant de quitter le bureau.

Rien de ce genre pour Port-au-Prince.

Les cameras sont arrivées après.

On ignore de quoi on a eu l’air pendant.

Encore absorbé par la douleur

quand un flash l’aveugle.

C’est pourtant son moment de gloire.

Et cette menace constante :

«Le bilan des morts risque

de s’alourdir.»

Pourquoi