Il était une fois un bourgeois stanbouliote trentenaire appelé Kemal promis à un beau mariage, gage d’un brillant avenir, et une lointaine cousine aussi pauvre que belle, Füsun, dont il tomba éperdument amoureux… Mais comme dans tout vrai mélo turc, les amours sont toujours malheureuses. Ils ne se marièrent jamais et n’eurent jamais d’enfant.
A son amour perdu Kemal consacra «un musée de l'innocence» avec les objets pieusement recueillis pendant huit ans de passion - une boucle d'oreilles dépareillée, des photos, des tableaux, des bibelots, des mégots, une règle à calcul, etc. Une reconstitution obsessionnelle de ce qui a trop brièvement été et de ce qui aurait pu être. «Que tout le monde le sache ; j'ai mené une vie très heureuse», confie le héros en épitaphe de ce qui pourrait sembler le récit d'un immense gâchis. Mais le désir pour l'aimée ne compte-t-il pas plus que l'aimée elle-même ? Ce thème classique de la littérature d'amour, notamment en Orient, Orhan Pamuk le reprend avec une distanciation ironique dans un somptueux roman sur la nostalgie, d'une veine quasi proustienne.
L'auteur de Neige, de Mon nom est rouge, a toujours été hanté par la difficulté d'être un écrivain «des marges de l'Europe». «Quand Proust écrit sur l'amour, il parle de l'amour universel aux yeux de ses lecteurs ; quand j'écrivais sur l'amour, surtout à mes débuts, on disait que j'écrivais sur l'amour turc», notait-il dans D'autres couleurs. Romancier rec