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Libération
TRIBUNE

Quelque chose s’est ouvert…

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par Laurent OLIVIER, Archéologue
publié le 25 avril 2011 à 0h00

Tu l’as vue seulement de loin, en passant : la mer de décombres, là-bas, toute grise et hérissée de choses fracassées. A perte de vue, les champs de gravats, apparus en une nuit à l’emplacement de villes entières, révélant au matin le cheminement secret d’anciens vallonnements, jusqu’alors invisibles. Tout cela, tu l’as vu déjà quelque part : les décombres - où que l’on aille, les décombres - et puis, dépassant çà et là de la surface d’un enchevêtrement de pierrailles poussiéreuses et de ferrailles tordues, la carcasse trouée de bâtiments bizarrement échappés de l’anéantissement, ruines désormais énigmatiques d’un passé brutalement rendu inimaginable. Tout un monde de détritus : le monde comme champ de ruines, comme dépotoir sans bornes. On a déjà vu ces couleurs nouvelles, ces rouges et noirs, ces blancs cendrés, ces tôles froissées comme du papier journal, l’acier immédiatement rouillé, ce fourmillement d’éclats chaotiques : la beauté vénéneuse du désastre soudainement éclose, à l’aube du jour d’après

Quelque chose s’est montré que nous ne devions normalement pas voir, une béance s’est ouverte sur ce qui va venir et se retire déjà. Nous avons entrevu ce qui va arriver, nul ne sait encore quand. Il nous a été donné de voir, avant les autres, ce qui restera de notre époque lorsque son temps viendra. Appelons cela son archéologie, puisque c’est de cela qu’il s’agit. Nous avons vu de quoi est fait notre monde : une étendue de choses désincarnées, qui nous écrasent. On pour