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TRIBUNE

1989-2011 : les œillères des sciences sociales

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par Ariel COLONOMOS, Directeur de recherche au CNRS et Ceri- Sciences-Po
publié le 26 avril 2011 à 0h00

En 1989, le monde des sciences sociales fut pris de court. Rares furent les brillants esprits qui eurent la vision d’un monde soviétique et communiste prêt pour l’implosion finale. Les relations internationales, la discipline la plus directement concernée, fut incriminée pour son aveuglement, fustigée pour son ignorance et critiquée pour son conservatisme. Comment des milliers de spécialistes avaient-ils pu être à ce point aveugles face aux signes avant-coureurs d’un changement d’une telle ampleur ? Un grand nombre d’entre eux se targuait d’user de leur savoir à des fins pratiques. En pariant sur la stabilité de l’équilibre de puissance alors qu’il s’agissait là de la façade d’un déséquilibre écrasant, ne donnaient-ils pas la preuve de leur incompétence ?

Deux décennies plus tard et en passant par le 11 Septembre, autre occasion manquée de voir le vent tourner, voici de nouveau venu le temps de la perplexité et de l’embarras. La chute des dictateurs dans le monde arabe et le formidable effet de contagion qui balaie la région laissent bouche bée celles et ceux qui ont traditionnellement voix au chapitre. Il est de bon ton d’adopter un profil bas. Car, une fois encore, rares sont ceux à pouvoir affirmer la tête haute et sans ciller : «Je vous l’avais bien dit !».

Le mot d’ordre pour comprendre la guerre froide a été «équilibre de puissances», «autoritarisme» pour la politique comparée des pays arabes. Ces deux notions très rigides sont le reflet d’une pensée profondément linéair