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TRIBUNE

Lettre à un ami japonais (III)* : les «sanctuaires de l’abîme»

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par Nadine Ribault, Ecrivaine et Thierry Ribault, Chercheur au CNRS (Maison franco-japonaise de Tokyo)
publié le 26 avril 2011 à 0h00

Cher ami, tu viens de quitter la zone d’Ishinomaki et d’Onagawa. Dans le Yatsugatake, au pied des Alpes japonaises, tu prépares ta prochaine visite dans la zone de Fukushima afin d’évacuer ceux que l’on a baptisés les «réfugiés». Que ceci soit pour nous l’occasion de t’écrire notre troisième lettre.

C’est de l’œuvre de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, projetée dans une rétrospective à Metz depuis le 11 mars, dont nous voulons te parler.

Hier, Othon, d'après la pièce de Corneille et Cézanne, d'après les conversations avec Gasquet. «Dans la tragédie moderne, a dit Jean-Marie Straub, ce vendredi soir 1er avril 2011, les personnages ne comprennent pas eux-mêmes ce qui se passe. C'est impénétrable.» Aujourd'hui, ton pays, cher Wataru, est dans la tragédie moderne où nul ne comprend ce qui se passe. La catastrophe est impénétrable, mais concerne chacun. «La nature n'a jamais parlé», dit Jean-Marie Straub, et l'obstacle qui s'élève à nos pieds n'est jamais élevé que par les hommes eux-mêmes, les princes et leurs cliques qui, sur les abusés, les éperonnés, ne daignent pas plus baisser leurs regards qu'au temps de Corneille ou de la Rome en effondrement. «La nature est plus en profondeur qu'en surface», disait Cézanne. Aujourd'hui, la centrale nucléaire de Fukushima régurgite son venin jusqu'aux abysses de l'océan, dans les entrailles de la Terre et le ventre des hommes - en profondeur donc.

Les taches en peau de léopard se formen