Ils sont arrivés à vingt, le 18 mars, en treillis bleutés, juste après le coucher du soleil, dans le restaurant Al-Elmtiaze dont la spécialité était le poulet grillé. Ils ont mitraillé pendant de longues minutes ce qui était l'établissement le plus prisé de Tripoli Street. Le patron, Fouad Chakkaf, la petite cinquantaine, s'était barré quelques heures auparavant, dans son gros 4 x 4 bleu nuit, vers sa propriété aux hauts murs ocres du quartier d'Al-Jazira, près de la mer, loin des bombes et des tireurs embusqués. Ce patron avait laissé à son cuisinier marocain, Aziz, 48 ans, le soin d'emporter «les derniers sacs de farine et de riz» car les chars de Kadhafi remontaient de l'aéroport vers Tripoli Street. Aziz n'en a pas eu le temps : «Les hommes de Kadhafi nous ont pris tout de suite en otage, ont ouvert les frigos qui étaient vides, ont pris le peu de riz qui restait et se sont vengés en fracassant la salle de restaurant de 200 couverts», se souvient-il. Puis les soldats ont fait monter la famille Yahya au premier. Ils ont occupé les deux étages du dessus pendant trente-cinq jours, «nous traitant comme des animaux, moi, ma femme Haouria, et mon jeune garçon Amine qui a 12 ans.» Il y avait aussi Alam, une Marocaine d'une trentaine d'années, employée à la cuisine et enceinte depuis sept bons mois.
«Tortue». Aziz, la peau grise et tendue comme elle le serait avec un châssis, raconte avoir vécu telle «une tortue» pendant trente