Avital Ronell est philosophe. Inspirés par Martin Heidegger et Jacques Derrida, ses travaux portent sur des objets contemporains : le téléphone, le test, l’addiction. Professeure à l’université de New York, elle était à Paris lorsque l’élimination d’Oussama ben Laden a été annoncée.
Comment avez-vous réagi aux manifestations de joie à New York à l’annonce de la mort de Ben Laden ?
Etant à Paris pour plusieurs semaines, je n’ai pas vu par moi-même ce qu’il en était. Mais, à la lecture des dizaines de mails que je reçois quotidiennement de tous types d’organisations américaines progressistes, je conteste l’idée d’une jubilation new-yorkaise. Tout le monde est sobre, inquiet, vigilant, hésitant sur ce qui se passe. Seuls quelques centaines jeunes gens sont sortis dans les rues, comme on fête un événement sportif, comme on soupire à la fin d’un film hollywoodien. La façon dont l’Amérique écrit l’histoire de Ben Laden depuis dix ans conduisait logiquement à cette fin en miroir, qui répète les images du 11 Septembre où l’on voyait quelques groupes d’Arabes danser dans les rues. Le scénario était préparé depuis longtemps et sa structure est celle d’une répétition pathologique : à dix ans d’intervalles, on a fêté une mort.
L’Amérique entière a exhibé sa satisfaction.
Justement. New York a toujours été en marge des Etats-Unis, objet de haine de la part des «vrais» Américains. Le 11 Septembre, on s’est demandé pendant quelques heures si le reste du pays serait solidaire. Plus tard, quand l’administration Bush est devenue très agressive, on a vu fleurir dans les rues de la ville des affichettes disant : «USA out of New York». On