Soudain au milieu de la prière, deux mots surgissent, encore incongrus il y a quelques mois : «Kadhafi», «Misrata». Aujourd'hui encore, comme la semaine dernière, nul doute qu'à l'occasion de la grande prière du vendredi, à Benghazi, l'imam chargé de la cérémonie ne va pas se priver de parler - et surtout de maudire «le dictateur». C'est une nouveauté majeure pour les imams : parler librement de Kadhafi, après quarante-deux ans de bâillon. Youssef Elreki, 38 ans, imam depuis 1995, porte dans sa chair les traces de son audace. Un jour, pour avoir demandé à ses fidèles de venir prier à la mosquée plutôt que chez eux, il a passé cinquante jours dans les locaux de la sécurité militaire, «où les animaux étaient mieux traités que nous». L'homme montre de profondes cicatrices sur les genoux - cassés par les coups de kalachnikov de ses geôliers -, sur la nuque, et parle d'autres enfouies dans la profondeur de sa barbe.
«Paranoïa». Pour avoir ainsi encouragé des rassemblements de fidèles, il a été emprisonné «à de nombreuses reprises, dont huit mois dans la caserne de la police militaire, et sept jours dans une autre caserne dirigée par un fils de Kadhafi. Dans cet endroit un jour est aussi long qu'une année».«Par paranoïa, le régime voulait qu'on ne puisse pas se rassembler à plus de deux ou trois», ajoute Youssef Elreki. Au début de l'année, sentant le vent des révolutions arabes pousser ses fidèles, l'imam avait réussi à créer un groupe d