Il se dit «gardien d'un cimetière». Guennadi, 55 ans, chevelure dorée sur regard azur, 1,90 m sous la toise, est veilleur à la fantomatique usine Kreenholm de Narva, en Estonie. Cette monumentale manufacture textile, symbole de l'opulence passée de la ville, employait 12 000 personnes du temps de l'URSS. Aujourd'hui désaffectée, Kreenholm étire un squelette de friches patibulaires sur plusieurs centaines d'hectares. La décrépitude a commencé en 1995, un an seulement après que des investisseurs suédois eurent racheté pour une bouchée de pain l'usine, tombée dans le giron de l'Etat estonien après l'indépendance de ce pays balte en 1991. En décembre 2010, les 470 derniers ouvriers étaient débarqués. Seuls quelques employés d'une société de démontage s'activent encore pour récupérer les tuyaux de cuivre qui gardent une valeur marchande.
Devant cette funeste curée, Guennadi se fige, dévasté. Il a travaillé vingt ans comme technicien chargé de la maintenance des machines à Kreenholm. Raison pour laquelle, à peine un mois après son licenciement par la direction de l'usine, la société de gardiennage mandatée par les propriétaires l'a immédiatement réembauché pour profiter de sa parfaite connaissance du site. «Un cadeau inespéré, dit-il. Ma femme, mon fils, ma fille et mon gendre travaillaient aussi à Kreenholm. Ils sont toujours au chômage. On s'est tous regroupés dans ma maison et on a dû vendre la voiture pour s'en sortir. C'est terrible la détresse q