Le guichet défraîchi, des fauteuils au cuir crevé, le ventilateur anémique brassant l'air poisseux de l'été cairote. Trois heures durant, debout parmi d'autres, Amira, chef d'entreprise, n'a pas bougé de cette administration où elle était venue accomplir une formalité. Jusqu'à ce que l'employé, pendu au téléphone, lui lâche, dans un clin d'œil complice, «Foloul ?» (ce qui reste des troupes après une bataille). En égyptien post-révolutionnaire, l'allusion est limpide : êtes-vous une partisane de l'ancien régime ? Amira a compris qu'elle pourrait bénéficier d'un traitement de faveur en recourant aux bonnes vieilles méthodes : le bakchich. Elle a serré les dents et est partie. «Je n'ai pas cédé. On n'a pas fait la révolution pour revenir à l'Egypte d'avant ! Mais jusqu'à quand tiendra-t-on le coup ?»
Suffocation. Amira est fatiguée. Même animée par un sincère désir de changement, la jeune patronne ne cache pas son inquiétude devant ce nouvel appel, aujourd'hui, à une manifestation géante pour réclamer, encore, la satisfaction des demandes révolutionnaires : de meilleures conditions de vie, l'accélération des procédures judiciaires contre les membres de l'ancien régime, la fin de la corruption, l'arrêt des procès militaires pour les civils (plus de 7 000 depuis le soulèvement)…
Dix jours déjà que les tentes des contestataires sont revenues sur Tahrir. Dressées là au lendemain d'une nuit d'émeutes, comme la place n'en n'avait plus connue depuis la