Au train où vont les choses, la révolution aura changé la face de notre pays avant même que la première édition de ton livre ne soit épuisée. Et je n'ose pas imaginer à quoi ressemblera la face du Proche-Orient lors de la deuxième ou troisième édition. Il faudra bien s'y risquer pourtant. Car Sa Majesté le Peuple est en passe de poser ses fesses sur le trône, dirais-tu, et ton éditeur ne tardera pas à me réclamer une nouvelle préface digne de son Altesse. Pour ce qui est de la préface, il va falloir parler de la portée subversive de tes personnages, à commencer par le vieux tisserand qui apparaît à brûle-pourpoint dans la rue du Vendredi, suppliant Dieu de lui «envoyer une révolution». Je dois t'avouer, à ce propos, que je me suis longtemps interrogé sur le choix de débuter ton livre avec ce personnage campé dans une rue dont je n'ai d'ailleurs jamais retrouvé la trace à Damas. Mais maintenant que nos compatriotes ont pris l'habitude de descendre dans la rue chaque vendredi pour hâter la venue de la révolution, je me dis que j'ai manqué d'imagination ou de courage.
Je n’imaginais pas, en effet, que la jeunesse de notre pays pût se libérer de Al-Assad et Allah au point de transformer le moment de prière hebdomadaire en un espace de citoyenneté révolutionnaire. Peut-être est-ce parce que, contrairement à toi, j’ai toujours connu notre pays sous le joug du parti Baas. A moins que je ne me sois inconsciemment fié aux savants orientalistes et autres spécialistes qui ne vo