Jean-Yves Moisseron est économiste à l'Institut de recherche pour le développement et rédacteur en chef de la revue Maghreb-Machrek. Il esquisse quelques pistes pour l'après-Kadhafi.
Etes-vous inquiet pour l’avenir de la Libye ?
Pour faire de la prospective, il faut partir de l’état de la société libyenne. Cette société traversait déjà une période de crise depuis une dizaine d’années. Avec une érosion de l’Etat-providence, ce modèle mis en place par Kadhafi fondé sur une large redistribution de la manne pétrolière et une politique étrangère ambitieuse. Les recettes pétrolières avaient en effet diminué à cause du vieillissement des infrastructures, des variations du prix du pétrole, et parce qu’elles ont été en grande partie mobilisées pour financer les ambitions de Kadhafi en Afrique alors que, parallèlement, les conséquences de l’embargo se faisaient sentir. En plus, la Libye s’était libéralisée depuis 2004 avec une montée de l’affairisme, un creusement des inégalités et une accentuation du déséquilibre régional entre l’Est et l’Ouest. Sans compter la crise financière de 2008 et l’explosion des prix des matières premières alors que le pays est très dépendant de l’extérieur en matière alimentaire. Résultat : l’Etat-providence ne fonctionnait déjà plus et la manne pétrolière n’était plus redistribuée comme elle l’était autrefois entre les tribus.
Contrairement à la Tunisie et à l’Egypte, la Libye est donc une société fragmentée, où la dimension tribale est redevenue un élément de structuration. Le problème, c’est