Il résumait sa mission de philosophe et de professeur par une de ces formules chocs qu'il affectionnait : «Va et mets le bordel dans les têtes.» L'héritage socratique sans se prendre au sérieux. Spécialiste reconnu de saint Augustin, ancien élève puis assistant de Vladimir Jankélévitch, historien de l'Antiquité, Lucien Jerphagnon avait de l'humour et une immense érudition jubilatoire comme le montre son dernier livre, publié quelques jours avant sa mort à l'âge de 90 ans, le week-end dernier. Dans des entretiens avec Christiane Rancé - auteur notamment de deux beaux essais, l'un sur la mystique de Simone Weil et l'autre sur Léon Tolstoï - «Jerph», comme l'appelaient ses élèves et amis, revient sur sa vie, ses batailles intellectuelles, ses rencontres, ses refus «des certitudes inoxydables et du faux brillant du plaqué vrai». Pour ce chrétien amoureux de la pensée gréco-romaine, la sophia (la sagesse, fondement de la philosphie) reste le meilleur des antidotes contre l'hybris, c'est-à-dire la démesure et la mégalomanie.
Toujours, il a voulu faire exploser les apparences et la paresse des certitudes. «On en vient peu à peu à voir les choses sans les regarder et à les regarder sans les voir, bref on ne s'étonne plus de rien alors que tout précisément devrait nous étonner», explique-t-il dans l'introduction, citant le Roquentin de la Nausée de Jean-Paul Sartre : «Déjà les choses n'avaient pas l'air trop naturelles…» Par rejet de tous l