A quelques jours de la parution de son livre la Guerre sans l'aimer, chronique des deux cents jours de la révolution libyenne à l'Elysée, Bernard-Henri Lévy évoque ces événements et ses espoirs d'une nouvelle Libye démocratique.
Au regard de ce qu’elle est devenue, ne pensez-vous pas vous être laissé aveugler par cette insurrection ?
C’est toujours le risque, bien sûr. Et ce ne serait pas la première fois que l’ami d’une révolution se serait laissé porter par un sentiment d’illusion lyrique. Mais, là, ce n’est pas le cas.
D’abord, parce qu’à chaque étape de cette aventure je me pose des questions, j’exprime des doutes. Ensuite, parce que nous avons tous tendance à oublier ce qu’était vraiment Kadhafi : les massacres de masse, les tortures, les pendaisons pour l’exemple, le terrorisme international, la répression et le meurtre d’Etat érigés au rang de l’un des beaux-arts ; nous perdons de vue le fait que le régime nouveau sera, quoi qu’il arrive, meilleur que celui dont l’Occident s’est si longtemps accommodé.
Et puis de quoi parle-t-on ? Dans le grand débat démocratique dont le pays est enfin le théâtre, l’avantage est toujours aux démocrates ; il est encore, plus que jamais, à ceux qui pensent que l’islam est compatible avec les droits de l’homme tels qu’on les entend en Occident ; les Libyens ne vont bien entendu pas renoncer à l’islam, qui fait leur identité. Mais, au parti mondial des huntingtoniens, aux partisans occidentaux et arabes du choc des civilisations, ils sont en train de démontrer qu’on peut être à la fois un musulman pieux et s’inscrire dans la liberté d’ex