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Libération

Le génie de Tahrir

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Alors qu’on se bat et qu’on meurt à nouveau sur la place de la capitale, rencontres, du Caire à Alexandrie, avec les acteurs de la révolution, qui racontent la fin de la peur et l’irréversible libération de la parole.
Dans une rue du Caire, en septembre (Jean-Christian Bourcart.)
par Sélim Nassib, écrivain
publié le 26 novembre 2011 à 0h00

D’où leur vient cette détermination ? Quelle force intérieure les a poussés à investir à nouveau la place Tahrir par centaines de milliers et à ne plus en bouger, à braver la mort sans ciller, recevoir des billes de caoutchouc dans l’œil, des balles réelles aussi. Ils portent leurs blessés sur les épaules, étouffent à genoux comme s’ils priaient, vomissant leurs tripes, et montent à l’assaut de nouveau - Nous ne bougerons pas, ne partirons pas avant qu’il ne parte, lui, le maréchal honni. Mais d’où ça leur vient ?

Ils ne ressentent plus l’euphorie des dix-huit jours qui ont abouti à la chute de Moubarak, leur unité vacille, les libéraux veulent le report des élections et les Frères musulmans non, la situation économique est critique, la rue Mohamed-Mahmoud toute proche est le théâtre d’une véritable guérilla urbaine…

Un sentiment mêlé d’inquiétude et d’optimisme

Quelques semaines avant la déflagration, nous étions sur la place dont le seul nom est devenu le symbole du printemps arabe. Tahrir battait au rythme du Caire, dont elle est le centre, entièrement occupé à survivre, se faufiler entre les voitures, vendre trois paquets de Kleenex sous la poussière qui tombe en permanence et pétrifie la ville comme depuis la nuit des temps.

Il ne s'était rien passé ici. Le groupe qui discutait de l'application (ou pas) de la charia était lilliputien. Plus loin, la manifestation qui scandait «Que tombe, que tombe le régime militaire !» ne rassemblait pas plus de trois cents personnes - une misère. Le brouhaha avait repris, et