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Libération
TRIBUNE

«Nous sommes cocréateurs de la machine totalitaire»

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A peine élu président, Havel tenait un discours sans concessions à ses compatriotes.
par Vaclav HAVEL
publié le 19 décembre 2011 à 0h00

Le 1er janvier 1990, de la salle du château de Prague, le nouveau président de la République tchécoslovaque s'adresse à ses concitoyens. Václav Havel ne veut épargner personne, ni le système communiste ni le peuple. Il choisit d'exalter le thème de la responsabilité.

«Chers concitoyens,

«Depuis quarante ans, vous avez toujours entendu le premier jour de l’année, de la bouche de mes prédécesseurs, le même discours, avec seulement quelques variantes : comment notre pays fleurissait, combien nous avions fabriqué de nouveaux millions de tonnes d’acier, combien nous sommes tous heureux, combien nous avons confiance en notre gouvernement et quelles belles perspectives s’ouvrent devant nous !

«Je suppose que vous ne m’avez pas proposé à ce poste pour que je vous mente à mon tour. Notre pays ne fleurit pas. Le grand potentiel créateur et spirituel de nos nations n’est pas utilisé comme il se doit. Des branches entières de l’industrie produisent des choses qui n’intéressent personne, tandis que ce dont nous avons besoin nous manque toujours. L’Etat, qui s’appelle Etat des ouvriers, humilie et exploite les ouvriers. Notre économie arriérée gaspille une énergie rare. Le pays qui pouvait être fier, autrefois, de l’érudition de son peuple dépense tellement peu pour l’enseignement qu’il se trouve aujourd’hui à la soixante-douzième place mondiale dans ce domaine. […]

«Mais cela n’est pas encore l’essentiel. Le pire est que nous vivons dans un milieu moral pourri. Nous sommes malades