La pancarte est rangée, soigneusement, dans un coin de son appartement. Il l’a gardée, la regarde, la touche même parfois, comme pour empêcher la fuite de souvenirs déjà effrités par cette année d’espoirs hoquetants. Plus de trois cent soixante aubes ont passé, mais il se souvient comme hier de ce matin d’hiver, blanc et brumeux, où il a fermé sa porte avant de descendre dans la rue. Jusque sous son menton, il avait remonté la glissière de sa veste bleue. Entre la toile et la laine de son pull, la pancarte roulée, avec ces mots en capitales rageuses : «Moubarak dégage». Dans les rues du Caire, les Egyptiens vaquaient, presque comme à l’accoutumée, n’était cette tension diffuse, en ce jour décrété fête de la police, où plusieurs organisations avaient appelé à manifester contre le régime. Cette police honnie, incarnation de tous les abus, impunité de l’uniforme, corruption, brutalité…
La semaine précédente, dans toute l’Egypte, des hommes s’étaient immolés, un, puis deux, puis quatre, répliques du séisme tunisien qui venait de chasser Ben Ali. Puis, il a marché jusque devant le syndicat des journalistes, lieu traditionnel de rassemblement des activistes, où personne ne manifestait encore, incapable de se douter qu’une heure plus tard, le pays à son tour allait basculer sur l’autre versant d’une histoire paralysée par trente ans de règne d’Hosni Moubarak. Les hommes d’Amn el-Dawla, la terrifiante sécurité de l’Etat étaient là, avec leurs grosses lunettes noires, leurs tenues civ