Jihad s'assied sur un petit lit au-dessus duquel a été suspendu un drapeau aux bandes verte, blanche et noire et aux trois étoiles rouges, le nouveau symbole des Syriens en insurrection contre Bachar al-Assad. Il tient sa main un peu à l'écart, comme si ce chicot énorme et purulent, où ne subsistent qu'un auriculaire et un bout d'index, ne lui appartenait plus vraiment. Cette main, Jihad l'a perdue dans une des tortures que les hommes du régime syrien prodiguent à tous ceux qu'ils incarcèrent. Le visage étonnamment calme et le sourire tranquille, comme déconnecté des cruautés qu'il a endurées, il raconte. En septembre, lors d'une manifestation à Deraa, petite ville du sud où ont été observés les premiers signes d'opposition au pouvoir, l'homme de 34 ans est arrêté par les militaires. Lors de son interrogatoire, on lui demande de se prosterner devant une photo de Bachar al-Assad. Il refuse. Il va même jusqu'à déchirer le cliché qu'on lui brandit devant les yeux. «Ils m'ont dit à deux reprises qu'ils allaient me couper la main, mais je ne pensais pas qu'un Syrien pouvait couper la main d'un autre Syrien», raconte-t-il. Après avoir été fouetté avec des câbles, reçu des décharges électriques sur les jambes, Jihad est finalement suspendu en croix, les yeux bandés. Il sent qu'on lui attache quelque chose à la main et entend ses tortionnaires s'éloigner de quelques pas. Après quelques secondes, ils activent un détonateur et font exploser sa main.
«Balle empoisonnée»