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Libération
grand angle

La torture du silence

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Appelé en Algérie, Claude Juin a noté en secret les exactions dont l’armée s’est rendue coupable. Après une longue enquête sur la mémoire tourmentée de ses «copains» de régiment, il vient de publier un livre.
(Photo Roberto Frankenberg)
publié le 12 mars 2012 à 0h00

Le livre n'avait pas encore paru que le téléphone de Claude Juin sonnait déjà : «Pourquoi tu racontes ces conneries ? T'étais dans quel régiment, hein, dans quel régiment ?» Puis c'est une discussion avec le représentant local de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie (Fnaca) qui le rappelle le lendemain : «Claude, il y a le feu dans la baraque : il faut que tu changes le titre de ton bouquin !» Le titre est resté : Des soldats tortionnaires . Guerre d'Algérie : des jeunes gens ordinaires confrontés à l'intolérable (1).

Cinquante ans n'ont pas suffi à apaiser les tourments liés au tabou de la torture pratiquée par certains soldats français. Lui-même sous-officier en Algérie entre mai 1957 et janvier 1958, Claude Juin a voulu briser le silence qui hante la mémoire de bien des appelés, mais aussi de militaires de carrière, sur ce qu'ils ont vu ou commis en Algérie. Des actes souvent à l'opposé de la mission de «pacification» que l'Etat leur avait officiellement, et de façon ambiguë, ordonnée. Il a mené une vingtaine d'entretiens avec des «copains» de la guerre. «L'un deux m'a raconté que sa femme a découvert en 2000 seulement qu'il avait fait la guerre, et c'est loin d'être un cas isolé.»

Trois petits carnets bleus

Dans sa jolie maison des environs de Niort (Deux-Sèvres) entourée de dizaines d'arbres qu'il a lui-même plantés, Claude Juin, 77 ans, yeux vifs et tignasse grise, ponctue certaines phrase