Le monde change, la population croît à mesure que l’exode rural s’intensifie, les métropoles du siècle dernier se transforment en mégapoles. Seule Sarajevo n’a pas changé, elle est restée telle que je l’ai laissée vingt années plus tôt.
A Bascarsija, devant la petite mosquée à coupole verte, je lève les yeux vers les collines qui entourent la ville et me rappelle les jours où le marché était fermé, «aveugle et muet» comme dans ce poème de Nazim Hikmet. Pendant la guerre, la ville ne se battait pas seulement contre les tchetniks mais aussi contre la faim ; grâce à l’aide humanitaire, elle essayait de tenir debout, de vivre, si l’on peut appeler cela, vivre. Le seul restaurant où l’on pouvait se nourrir était l’American Club. Nous y prenions nos repas avec les militaires de la Forpronu. A mon arrivée à Sarajevo, on m’a dit que le propriétaire de l’American Club s’était enrichi grâce à la guerre, qu’il se promenait en Mercedes et avait ouvert de nouveaux restaurants et des lieux de loisir. Pendant la guerre, certains ont perdu un bras ou une jambe, d’autres leur vie. Et certains leur honneur.
Je suis passé devant le Centre culturel iranien. Il y a aussi un Centre international de l’islam installé un étage au-dessous du Centre culturel André-Malraux. Mais, dans la vie quotidienne, je n’ai pas remarqué les signes d’un fanatisme musulman, d’une religiosité profonde. Rares sont les femmes voilées, l’appel à la prière est moins sonore que dans les mosquées turques. Dans la plupart des