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Barrage sacrificiel

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[En chantier] . Tout l’été, une déambulation au cœur des constructions, réelles ou imaginaires. Aujourd’hui, l’histoire d’eau de 1,5 million de déplacés chinois.
publié le 15 juillet 2012 à 19h06

Depuis que leur ville a été engloutie sous 175 mètres d'eau, les habitants de Fengjie voient les choses avec une perspective singulière. Relogés en hauteur, à flanc de coteau dans une agglomération neuve, aussi appelée Fengjie, voilà qu'en passant simplement la tête par la fenêtre et en baissant les yeux, ces riverains ont une vue plongeante sur l'emplacement de leurs anciennes maisons. «Il suffirait que l'eau soit transparente pour qu'on puisse revoir où on habitait… C'est un peu comme si on contemplait sa mort depuis le ciel», philosophe Wu Yufeng, une ouvrière retraitée déplacée par la construction du barrage des Trois-Gorges. Rien ne la destinait à déménager car, dit-elle, «mes ancêtres ont tous vécu dans l'ancienne ville submergée, et je pensais finir là, moi aussi».

Au loin, dans la brume matinale, ondule le sillage des péniches et des bateaux à étages multiples qui font étape ici en été, déversant des petits groupes de touristes en croisière sur le Yangzi Jiang.

Hormis le «tombeau» d'un héros mythique des Trois Royaumes, roman écrit au XVe siècle, la ville sauvée des eaux rebâtie en ciment n'a rien de très attirant. C'est pourquoi la mairie a érigé en bordure de berge une pagode blanche et une massive porte en pierre de style traditionnel aux toits de tuile recourbés. Les touristes y sont convoyés en escaliers mécaniques depuis un quai en contrebas qui paraît minuscule comparé au fleuve évasé qui mesure ici plus de 2 kilomètres de l