Si j’osais, je vous dirais que je n’ai pas envie de vous écrire. Je vous dirais que je n’ai rien à vous dire. Des gens comme moi n’ont jamais rien à raconter, rien à ressentir, rien à vivre. Je suis né et je vis dans une ville de transit, une ville qui sent la Mort, une ville qui ne servait à rien d’autre qu’à faire passer des corps meurtris de froid et de faim vers une horreur encore plus grande. La seule ville au monde ayant une route dont les ossements de ceux qui la construisirent furent mélangés au goudron de la chaussée, la seule «route des os» menant à des mines d’or.
Je suis né et je vis à Magadan, en Sibérie extrême-orientale, une ville fascinante de banalité, désarmante de désillusions, une ville emprisonnée entre la chaîne de montagnes Cherskii et la mer d'Okhotsk, le reste, c'est de la toundra. Mes arrière-grands-parents se sont installés ici dans les années 30, peu après la fondation de la ville. Tous les hommes de ma famille étaient marins. Mon arrière-grand-père naviguait sur le Dalstroï, un cargo qui transportait les prisonniers vers l'archipel du Goulag. Il était aux machines, et on lui avait autant bourré le crâne qu'au reste de l'Union soviétique, en lui affirmant que les esclaves qu'il transportait étaient des ennemis du peuple, qu'ils étaient pires que des animaux, car même leur viande ne valait rien. Je suis le descendant d'un Homo sovieticus lambda, et je suis tout naturellement devenu alcoolique.
Je suis un oisif sans le sou, un sédent